![]() Evelyne DUBOUR |
C’était en 1973 je crois. Mon mari
qui n’était pas encore mon mari à l’époque,
me dit : « écoute, viens avec moi ce soir. Je vais manger
chez une amie. Elle habite au début de la ruelle de Mirmande
». |
A partir de là
j’allais souvent lui rendre visite, toujours après 5 heures,
comme tout le monde, on allait boire le thé, je faisais des repas
le soir aussi, et les repas, chez Marcelle c’était quelque
chose. Je suis une couche tôt et je finissais sur le canapé
pendant qu’Alain buvait du cognac et fumait les dernières
cigarettes du paquet de Marcelle. On ne partait jamais avant 5 ou 6
h du matin. On refaisait le monde, on parlait de toutes sortes de choses.
Elle parlait de sa peinture avec les gens qui savaient parler peinture,
moi, je les regardais (maintenant ce serait différent car je
peins) mais à cette époque j’étais contemplative,
je ne pouvais pas mettre de mots sur les oeuvres, j’aimais ou
j’aimais pas, mais elle aimait bien ça. Un jour j’allais
avoir 26 ans je rentre chez Marcelle qui avait fait un dessin et elle
me dit « Evelyne, tu l’aimes ce dessin ? » je regarde
et je réponds « c’est moi » « Ce sera
ton cadeau d’anniversaire ». Elle m’a offert plusieurs
dessins comme ça, que j’ai toujours évidemment.
Un jour elle m’a demandé de poser pour elle, ce qui était
rare, et on a passé des après midi délicieuses.
On parlait village, champignons, on parlait de garçons, des beaux
gars du coin. C’était une amie, elle ne m’impressionnait
pas, je n’allais pas voir Marcelle Rivier artiste peintre, j’allais
voir Marcelle. J’ai des toiles de Marcelle. Je n’avais pas
les moyens de me les offrir, on faisait du troc, elle faisait des dessins
des soirées qu’on passait chez elle. Elle vivait chichement,
certains soirs elle venait nous voir et on l’invitait , elle faisait
partie des gens qu’on invitait. C’était une solitaire
Marcelle, et, le matin, quand elle prenait son petit déjeuner
elle faisait des croquis des soirées. C’est quelqu’un
qui a beaucoup compté, un tempérament de femme que j’aimais.
Elle savait ce qu’elle voulait et à cette époque ce n’était pas facile. Je me souviens, Philippe Blin a joué du saxophone sur la tombe de Marcelle le 24 décembre 1986 , elle est restée quelqu’un de jeune, vous l’aviez en face de vous et elle était contemporaine, hyper contemporaine. Elle aurait bien aimé avoir notre age à l’époque, avec les idées de 68 , une femme jeune dans sa tête, dans l’action, la créativité permanente, j’ai eu la chance de la rencontrer. Ce qui m’a touchée le plus chez Marcelle c’est quand il y a eu une grande rétrospective juste avant qu’elle ne meurt, son bras droit ne fonctionnait plus, il y avait le conservateur du musée de Valence et d’autres gens connus et elle me prend le bras et me dit « emmène moi à la maison, je ne peux plus supporter ». Elle n’arrivait plus à faire les autographes de son livre. Je lui en avait acheté un et elle n’a jamais pu me le dédicacer. Trop fatiguée. Un jour à 83 ans elle n’arrivait plus à peindre du bras droit, et elle dit « je vais apprendre à peindre de la main gauche ». Elle ne pouvait pas se passer de peindre. Je me souviens du rire de Marcelle, on faisait la fête et c’était vraiment la fête, elle fumait des gauloises, buvait du cognac, et tous les jours elle sortait par n’importe quel temps avec son petit panier, elle prenait l’air tous les jours. Elle passait beaucoup d’heures dans son atelier et elle aimait vraiment son village. On ne l’oubliera jamais. Jamais je ne suis rentrée dans son atelier, personne n’y rentrait, je n’ai jamais osé le lui demander, ce doit être très rare les personnes qui y sont rentrés. Un de ses grands jeux était de regarder les hirondelles qui venaient sur sa terrasse et tous les soirs il y avait du monde qui passait la voir, elle offrait le pastis. C’était une femme qui ne faisait aucun compromis sur ce qu’elle avait envie d’être ce qui implique de gros sacrifices, la solitude, mais une grande force intérieure. Elle me disait « les enfants j’adore mais ce sont les parents que je ne supporte pas ». Voilà, le rôle de parent elle n’aimait pas. C’était une femme qui avait plein d’amis et elle est morte entourée par ses amis. Elle aimait beaucoup Alain et Philippe, ça lui rappelait l’Argentine . Elle a été quelqu’un d’important pour Mirmande. C’était quelqu’un de très fort, elle ne se rendait même pas compte de l’influence qu’elle avait et nous on ne s’en est rendu compte que longtemps après, c’était un personnage vrai. Voilà. On va finir comme ça . ça m’a fait plaisir de parler de Marcelle. |